Eunha aime son travail, c’est indéniable. Elle aime pouvoir venir en aide aux étudiants qui en ont besoin, puis grâce à Hyeol et aux vampires qui se font de plus en plus présent au sein de l’université, elle peut aussi sauver en leur permettant de se nourrir. Elle ne regrettera jamais d’être passée de l’hôpital à simple médecin scolaire, c’est moins éreintant, plus tranquille. Seulement, parfois, c’est plus ennuyeux aussi, comme aujourd’hui. La matinée vient de passer, trop lentement, car personne n’est venu voir Eunha dans son infirmerie, pas même un assoiffé affamé. Au fond, ça ne peut qu’être positif de savoir que tout le monde va bien, ou en tout cas ne ressent pas le besoin d’aller la voir à cause d’un mal-être ou de symptômes, mais Eunha préférait avoir de quoi s’occuper aussi. Si ça tenait qu’à elle, elle aurait pu préférer aller au laboratoire plutôt que perdre son temps dans son bureau, mais elle a des heures à respecter.

Elle essaye de trouver une quelconque occupation pour ne pas avoir à rester les bras croisés à fixer le vide. Il n’y a pas meilleure façon pour se perdre dans ses pensées et ressentir toute sorte d’émotions dont la femme n’a pas envie. Même si elle ne le montre pas et prétend aimer être seule, la solitude n’est pas forcément un état qu’Eunha apprécie particulièrement, ça ne fait que lui rappeler de mauvais souvenirs qui lui sont inutiles aujourd’hui. Alors elle regarde et lit des documents qu’elle a déjà lu auparavant pour se donner bonne conscience, vérifie qu’elle a toujours assez de poches de sang au cas où quelqu’un viendrait aujourd’hui, ce qui n’arrivera pas ce matin. Elle finit son heure faisant tourner simplement sa chaise, attendant la pause de midi avec hâte.

C’est ce qui finit par arriver, elle entend la sonnerie sonner pour annoncer la fin des cours de son matin et pour elle son heure de travail. Sa pause du midi n’est pas très longue, mais c’est assez pour la distraire. De toute façon, elle n’a pas besoin de se nourrir comme n’importe quel humain et n’en aura jamais, mais elle a une habitude qu’elle sait ne perdra jamais.

Elle arrive dans une salle adjointe à son infirmerie, là où il y a la machine à café et quelques table pour se poser et surtout se reposer. Si elle est là, c’est surtout pour prendre déjà son troisième café de la journée, le goût ne lui plait pas particulièrement mais c’est un petit rituel dont elle se lassera jamais. La boisson chaude la stimule, lui donne un semblant d’énergie et surtout de motivation qu’elle a déjà toute perdue en une matinée ennuyante. Puis, depuis qu’elle est à la SAU, c’est une habitude qui est partagée avec le psychologue de l’université, Jihyeon. Elle le voit d’ailleurs arriver près d’elle quelques secondes plus tard, pendant que son café coule dans sa tasse. Elle se tourne immédiatement vers lui, l’accueille avec un petit sourire énigmatique et elle ne lui laisse pas le temps de se poser pour l’interpeller.

« Ah, Jihyeon, tu es là. Dis-moi que ta matinée a été plus intéressante que la mienne, tu as eu des visites ? Est-ce que tout s’est bien passé ? »

En plus du café, c’est aussi pour Jihyeon qu’Eunha avait hâte de cette pause. Depuis qu’ils travaillent tous les deux ici, ils passent la plupart de leurs pauses ensemble pour discuter de tout et de rien, souvent de leurs élèves qui peuvent avoir en commun ou pas. Eunha apprécie le jeune homme et ne se cache pas avec lui, elle est parfois peut-être trop honnête et ça peut des fois lui porter préjudice, lui donner l’occasion de la cerner. Mais ce n’est pas grave.

Eunha se tourne vers Jihyeon à son arrivée attendue, jetant un dernier coup d’œil vers la machine à café qui vient de finir de tourner. Elle attrape sa tasse entre ses mains, les réchauffant peut-être un peu trop, et elle écoute attentivement les premières paroles de son collègue. Elle acquiesce d’abord, haussant nonchalamment des épaules, mais sa curiosité est bien vite attisée quand il lui prévient que cela lui fait penser à quelque chose. Eunha se rapproche de la table où il est installé et où il lui laisse une petite note. Elle pose sa tasse pour l’attraper entre ses doigts, lisant brièvement les quelques mots inscrits avant de se concentrer sur les mots de Jihyeon.

« Très bien, tu as bien fait. Je m’en souviendrai si jamais elle vient me voir plus tard... » Elle tire une chaise à son tour pour s’installer aux côtés de Jihyeon, croisant les jambes et s’appuyant sur la table d’un coude. « C’est pas la première fois que ça arrive, ce genre de cas. Ils ont toute la vie devant eux, il ne faudrait pas qu’ils se tuent à la tâche avant même de réellement commencer. » soupire-t-elle finalement.

Malgré tout, elle comprend aussi ce comportement qui ne fait que causer du stress et de l’anxiété, Eunha l’a connu aussi pendant ses études. Si l’on peut penser que l’arts est une discipline plus tranquille, quand on fait de sa passion un travail, on dit que c’est toujours plus agréable, mais l’université reste ce qu’elle est et la charge de travail peut toujours pousser les élèves au fond du gouffre. Elle range la note dans la poche de sa blouse, attrapant de nouveau sa tasse pour prendre une première gorgée, encore trop chaude, celle qui pique la langue.

Ses yeux se posent de nouveau sur Jihyeon quand il reprend la parole, amenant le sujet sur elle cette fois-ci. Si elle a exprimé de la surprise d’abord, ses sourcils se froncent directement. Elle n’aime pas quand il s’inquiète d’elle, quand il veut savoir si elle va bien alors que la réponse est toujours la même. Au fond, elle apprécie l’attention et elle aime la compagnie de Jihyeon. Seulement, il a cette fâcheuse manie, peut-être une déformation professionnelle pense-t-elle, de toujours lui demander comment elle se sent. Elle secoue cependant la tête négativement, avant de lui répondre simplement.

« Non, ça va. Comme tu l’as bien deviné, je n’ai eu personne à m’occuper ce matin, c’était très calme. Puis, maintenant que je travaille ici ce n’est rien comparé aux heures que je pouvais faire à l’hôpital, tu sais. Ne t’inquiète pas, il m’en faut plus pour me fatiguer. »

Elle sait à quoi il fait référence, tout ce qu’il se passe en ce moment. Ce n’est pas un sujet tabou entre eux et même s’ils n’ont pas toujours les mêmes idées, Eunha n’a aucun mal à affirmer ses positions avec Jihyeon. Et c’est comme ça qu’il commence à s’inquiéter de son état, parce qu’Eunha aime avoir le contrôle sur tout, pouvoir s’occuper des personnes qui ont besoin d’aide. Elle se charge de tout, de tout le monde et jamais d’elle. Justement, elle n’a déjà plus envie que le sujet soit tourné autour d’elle pour le moment et elle aussi a très certainement une déformation professionnelle. Tout à coup, elle sort une plaquette d’ibuprofène de sa poche, qu’elle cache depuis le début et elle la présente à son collègue avec un regard interrogateur.

« Par contre, toi, tu as l’air d’avoir eu une matinée moins calme que la mienne, tu en as besoin ? Tu veux peut-être un café aussi, je ne t’ai pas proposé. »

Eunha, elle est là pour ça, elle aime bien être aux petits soins avec Jihyeon, parce que lui aussi est là pour aider les autres plus que lui-même. Et Eunha, elle préfère nier ses propres soucis pour se soucier de ceux des autres, c’est comme ça.

Eunha observe Jihyeon, le scrute même tellement son regard est perçant, malgré elle. À force de le côtoyer, elle remarque aisément quand il est sujet à une migraine, c’est son métier aussi quelque part. Elle le plaint, elle sait que ce n’est pas un symptôme des plus agréables et c’est comme ça qu’elle finit avec une boîte d’ibuprofène toujours dans sa poche, juste au cas où, que ce soit pour elle qui des fois en a aussi, mais surtout pour son collègue à ses côtés. Alors, quand il dit ne pas savoir comment elle fait, pour savoir, elle rit doucement.

« C’est peut-être un peu des deux, malheureusement pour toi. J’espère que ça va passer pour aujourd’hui. »

Eunha se relève alors quand il lui dit bien vouloir un café avec cela, puis elle lui donne une petite tape sur l’épaule, un petit signe pour dire qu’elle est là pour lui. Elle lui tourne le dos quelques instants pour relancer la machine à café, mais son oreille est attentive et elle l’écoute se confier sur sa journée qui n’est pas plus plaisante que la sienne à priori. Cela la fait soupirer aussi. Eunha aime son métier et elle l’aimera toujours, elle n’a rien envie de plus que de savoir qu’elle peut aider les gens autour d’elle. Mais elle ne sait que trop bien aussi que la vie n’est jamais facile avec eux quoi qu’ils fassent, il y a toujours des imprévus et des journées comme celles de Jihyeon où on a comme l’impression que rien ne va.

« Je vois très bien ce que tu veux dire... Mais, il faut rester droit sur tes jambes mon cher Jihyeon. Si tu finis par vraiment trébucher devant les étudiants, cela va te suivre longtemps et je serais sûrement la première à le savoir et... te pourrir la vie avec ça. » plaisante-t-elle. « Ce que je comprends, c’est que tu as bien besoin de ce café pour te requinquer, la journée est malheureusement loin d’être finie. »

Elle attend que la boisson chaude finisse de couler dans la tasse et une fois fait, elle revient vers son collègue et s’installe de nouveau à ses côtés, posant son café en face de lui. Elle croise de nouveau les jambes, se met bien confortablement mais toujours tourné vers lui, pour montrer qu’elle est bel et bien à son écoute. Même si elle annonce le taquiner si elle entend des ragots à son propos, Eunha ne veut que le bien de son collègue. Elle a une certaine affection pour lui, chose qu’elle n’a pas avec tous les membres du personnel de l’université, quelque chose qui les connecte tous les deux, une impression de se comprendre sans avoir besoin de tout confier. Mais il faut croire qu’aujourd’hui, Jihyeon en a envie, ce besoin d’évacuer les pensées enfouies trop longtemps dans la tête. Elle reprend une gorgée de son café et secoue la tête négativement en réponse aux dernières paroles de son collègue. C’est qu’elle préfère quand c’est lui qui se confie, elle n’a qu’à écouter, mais avec Jihyeon, elle finit toujours pas dire plus qu’elle ne le voudrait vraiment, malgré elle.

« Non, non... Je suis d’accord avec ce que tu dis et je compatis avec ces pauvres étudiants. Finalement, que ce soit en art ou ailleurs, ils aiment bien pousser au bout. À vrai dire... Je pense que toute ma vie, j’ai eu cette impression que tout le monde veut qu’on soit parfait dans ce que l’on fait, nous faisant croire que cela n’est jamais assez. Aujourd’hui, maintenant que je suis indépendante ça va, heureusement... Mais j’espère ne pas donner cette même impression à mes patients ou mon entourage. »

La main contre sa joue, un doigt qui tapote distraitement sa peau, Eunha se perd dans ses souvenirs, se rappelant à quel point ses parents voulaient qu’elle soit parfaite, à l’inverse de son frère qui sans efforts avait tout le mérite. Elle n’a pas envie de devenir ce genre de personne, devoir attendre trop des autres. C’est ce qui finit par créer la pression chez les gens, cette exigence qu’elle a malencontreusement encore aujourd’hui, bien qu’elle le nie.

« Si cette élève vient me voir demain, j’essaierai de la conseiller sur tout ça... Je connais que trop bien ce sentiment et ce serait dommage de gâcher son potentiel au prix d’une note des professeurs qui eux ont déjà tout accompli. »