Il attend ce moment depuis longtemps.
Peut-être même était-ce un euphémisme de formuler la chose ainsi - longtemps ? Vraiment ? Il avait vécu une demie vie, environ, en tout bon réalisme. Et la dernière fois… Oh, ça, c’était il y a longtemps.
Il ne l’oubliera pourtant pas.

Mais il a appris de ses erreurs, aussi.
De sa fougue, de sa hâte. De sa jeunesse, pardi.
Non, aujourd’hui il est un chasseur aguerri. Et dire qu’il attendait une proie serait une grossière erreur. Non, non, non. Pas de ça ici. Pas dans sa pièce si haute en couleurs - jamais de proies. Seulement des acteurs. Et lui ? Lui n’était que scénariste, pardi. Il faisait ce qu’il faisait le mieux : écrire l’histoire. Et comme toute histoire et toute réalisation, elle était sujette à des improvisations, à des améliorations et des gaffes.
Tout en une seule prise.

Son oeuvre préférée.
Il ne s’en lassera jamais.
Celle de toute sa vie, il semblerait.

Et aujourd’hui, c’était un rôle majeur. Inopiné, vraiment.
Assis à son bureau, il a beau tenter d’être productif il n’y arrive pas. Il est toujours le même - curieux. Passionné. Quoi de plus intrigant que de recevoir en cette salle l’un des protagonistes qu’il aimerait aiguiller ? Pas ordonner. Les performances les plus belles étaient étreintes de liberté et de sincérité. De sensibilité. Tout son travail en était empreint, ça ne changerait pas non plus cette fois. Surtout pas cette fois. Il a même du mal à retenir le sourire en coin qui s'immisce sur ses lèvres et qu’il cache sans chercher à effacer de son gant à l’odeur familière et réconfortante.
Il est d’une bonne humeur terrifiante.

Il redresse la tête au bruit à la porte.
Et son visage s’illumine, tout en gardant cette sérénité que lui offre la sagesse de l’âge. Maîtrisé mais rayonnant.

Entrez donc.

Il sait déjà de qui il s’agit.
Il s’est bien assuré de faire comprendre que cet horaire était réservé.
A ta vue, il se redresse et se lève même.

Ilyeon ! Quel plaisir. Vous avez fait vite.

Et d’un signe, il t’invite à pénétrer dans la pièce. A t’y faire ta place. Rien de menaçant chez lui - mais c’est peut-être ça, le plus effrayant. Qu’est-ce qu’il est normal, hein ? Où se dissimule le méchant ? Où s’arrête le mensonge du gentil ? Est-ce qu’il y a vraiment des casquettes à échanger ? S’il n’y en avait pas…
Tu ne veux pas y penser, pas vrai ?
C’est encore plus déstabilisant, à y penser.
Alors non, il te laisse t'avancer, ne serait-ce que de quelques pas - seulement pour atteindre la porte. Click. Le verrou qui tourne aisément entre ses doigts - il ne te montre pas son dos, les bras restent le long de son corps, la silhouette détendue. Comme s'il ne venait pas de couper ta seule sortie. Des deux, ce n'est pas lui qui a à s'affoler.
Mais il n'est pas non plus là pour te faire fuir.
Juste pour t'ébranler.
Ne serait-ce que te secouer.
Te faire penser.
Planter en toi une idée.
Le reste... Le temps s'en chargerait.
Il le sait. Il l'a senti.
Tu avais le potentiel.
Et son flair ne l'a jamais trahi.

On ne voudrait pas être dérangés. Mais rien d'affolant, je vous rassure. Ce n'est qu'une piètre précaution ahah. Vous voulez un café ?

A côté de son bureau repose une machine à la marque notable - si tu avais assez d'aisance pour en boire, il serait de bonne qualité. Il se reprend aussitôt.

Oh, où sont mes manières. J'ai aussi du chocolat chaud si vous n'avez pas la langue prompte à l'amertume.

Il quitte la porte, à peine de quelques pas. Il ne vient pas chercher la confrontation physique. D'ailleurs, il te laisse largement ton espace. Que tu tentes de retomber sur tes pattes, de trouver un équilibre aussi bancal soit-il. Fais donc ! Sincèrement. Prends tes aises. Son sourire est empreint d'un peu d'amusement.

Après tout, vous semblez être particulièrement réceptif à ce que c'est que d'avoir besoin de se désaltérer... Bien que l'envie ne vous semble pas inhérente, si je ne me trompe pas.

Des mots choisis avec soin.
Après tout, ce n'est qu'une conversation, pas vrai ?
Rien qu'un petit café, qu'une petite boisson à partager.
(Et il se trompe bien rarement)
Mais si tu venais à le surprendre ? Avec toi, il s'attend à tout.
Tu es son improvisation la plus attendue, et il ne saurait s'en déplaire.
Quelle scène ! Vraiment.
Comment un grand homme l'a dit, au cinéma on joue, et au théâtre c'est joué.
Il a hâte de voir où ton script s'arrête avant que tu ne laisses ses projecteurs t'éclairer.