C'est devenu une habitude pour Yeonggi de s'installer dans un coin tranquille parc le midi, quand les autres sont à la cafétéria ou dehors. Avec les températures qui fraîchissent, pourtant, il commence à se dire qu'il ferait mieux de trouver un autre endroit pour ne pas avoir froid. Peut-être que le plus simple serait encore de se réfugier dans sa chambre des dortoirs ; là-bas, au moins, personne ne viendra le déranger. Mais pour ce midi, il est encore dans le parc, sur un banc à l'écart. Il soupire en sortant de son sac la brique de "jus de tomate" qui est censée constituer son repas de midi. Oh, ne t'y trompe pas, il est complètement résigné à son sort. C'est juste que même après bientôt deux ans de ce régime, il n'arrive toujours pas à surmonter complètement son dégoût du sang. Parfois, il se dit qu'il ne s'habituera jamais.

Ses mains tremblent un peu alors qu'il défait le plastique de la paille pour la planter dans la brique, et tout concentré sur ce qu'il fait, il ne te remarque pas immédiatement. C'est seulement quand tu t'assois à ses côtés qu'il relève la tête dans ta direction, un peu surpris qu'une inconnue s'adresse à lui. Et puis son regard se pose sur ta brique identique à la sienne, et il comprend. Enfin, il croit comprendre. Le doute reste présent, quand même, et ce serait bête de se tromper. On ne sait jamais, peut-être que tu aimes juste beaucoup le jus de tomate.

Il hoche la tête, doucement.

Je... n'aime pas trop le sang. Ça me dégoûte, avoue-t-il d'un ton hésitant, en espérant de tout cœur qu'il a bien interprété tes propos. Ça ne te dérange pas, toi ?

On ne dirait pas, en tout cas, et ça l'intrigue – Yeonggi ne connaît pas beaucoup d'autres vampires, à part le docteur Cha, et il n'ose pas lui poser beaucoup de questions. Il a l'impression qu'il n'aimerait pas forcément les réponses, de toute façon. Mais tu n'as pas l'air aussi intimidante que le médecin de l'école, en tout cas à ses yeux, alors peut-être que c'est une occasion d'en apprendre plus. En tout cas, parler lui donne une bonne excuse pour ne pas boire son repas tout de suite, c'est déjà ça.

Ah, c'est vrai. Yeonggi avait oublié qu'on pouvait naître vampire, plutôt que de le devenir comme lui. Même si son organisme n'a plus rien d'humain, il ne sait finalement pas grand-chose sur ce monde dont il fait désormais partie. Il ne s'y sent pas à sa place – mais est-ce qu'il s'est déjà senti à sa place quelque part ? La question mérite d'être posée.

En vérité, il t'envie un peu, parce que toi, au moins, tu connais ça depuis toujours. Yeonggi, lui, a été jeté à l'eau du jour au lendemain, sans bouée de sauvetage, et il s'est très vite rendu compte qu'il ne savait pas bien nager du tout ; il arrive à peine à rester sur place sans couler. La vie de vampire, ce n'est pas fait pour lui, tout simplement.

Il baisse les yeux vers le sol, un peu découragé, et puis les relève d'un air surpris quand tu reprends la parole pour... le réconforter ? Lui donner des conseils ? Il n'est pas sûr, mais en tout cas, il ne s'y attendait pas. Yeonggi est toujours surpris qu'on soit gentil avec lui alors qu'il n'a rien fait de spécial pour le mériter, et il met un moment à te répondre.

Ça fait... presque deux ans.

Et plus d'un an et demi qu'il n'a pas mis les pieds à l'hôpital. Ça lui fait drôle de se dire qu'il n'aura plus jamais besoin d'y retourner – pas pour lui, en tout cas, et Yeonggi espère ne jamais devoir y aller pour quelqu'un d'autre non plus. Pendant un bref instant, il imagine ce que ça lui ferait si les rôles étaient inversés et qu'il devait visiter Hyojin à l'hôpital, et rien que l'idée lui fait froncer les sourcils de contrariété. Pas la peine de penser à ça, ce n'est pas comme si ça risquait d'arriver pour l'instant.

Merci. Pour les conseils. Tu, hm. Tu es aussi étudiante ?

Il espère que oui, sinon ça veut dire que tu es sans doute prof et dans ce cas, il devrait te parler un plus formellement. Yeonggi n'est pas très doué pour ça, c'est pour ça qu'il préfère souvent se taire, ça évite de dire des bêtises et de blesser des gens sans le vouloir.

Avec hésitation, il porte à son tour sa paille jusqu'à ses lèvres et avale une gorgée. Le goût le fait grimacer, un frisson désagréable le parcourant de la tête aux pieds. Ah, ce qu'il ne donnerait pas pour être à la cafétéria en train de manger un repas normal avec son meilleur ami plutôt qu'ici, dehors, avec sa brique de sang. Au moins, il n'est pas tout seul – c'est étrangement réconfortant, malgré que vous ne vous connaissiez pas. Peut-être qu'il arrivera à tout boire, aujourd'hui, plutôt que de jeter la fin de son repas dans la poubelle la plus proche.